Langue maternelle perdue, mémoire ancestrale vendue : petit plaidoyer contre l’amnésie linguistique au Cameroun.
- Yana Mbenda Edimo

- 23 juin
- 2 min de lecture

Je me souviens encore de ma grand-mère. Une femme digne, droite, enracinée… et pourtant, lorsque l’heure venait d’expliquer quelque chose avec sérieux, elle se mettait à parler… français. Oui, français. Cette langue étrangère qu’elle ne maîtrisait qu’à moitié, mais qu’elle utilisait avec soin, comme si le poids des mots dépendait de leur accent européen. Elle pensait, comme beaucoup, que pour bien se faire comprendre, il fallait parler "comme à l’école", c’est ainsi que, petit à petit, insidieusement, presque avec élégance, nous avons laissé nos langues s’évaporer.
Le Cameroun, ce cher pays aux 250 langues (et au moins autant de chefs traditionnels autoproclamés), a choisi de hisser le français et l’anglais au rang de langues nationales. Pas comme on choisit un chemin. Non ! Plutôt comme on accepte un viol qu’on maquille en alliance car, il faut le dire, sans tourner autour du dictionnaire : nos langues ont été violées. Nos cultures, diluées. Nos mémoires, reprogrammées. Et aujourd’hui encore, nous pensons, écrivons, rêvons et prions dans des langues qui ne sont pas les nôtres. Parfois même, nous nous disputons en français… pour défendre notre “africanité”.
Ironique, non ?
Je t’entends déjà, mon frère, ma sœur, me dire : « Mais on ne va quand même pas tous apprendre le tikar ou le duala à 40 ans ? » Et moi je te réponds calmement : « Et tu crois que le français est tombé du ciel un matin ? Tu penses que tu es né avec un Bescherelle en main ? » Hum. Akiéé, vous aussi !

Apprendre une langue, ce n’est pas qu’un effort linguistique. C’est un acte politique. Un acte d’amour. Un devoir de mémoire; et si nous ne sommes pas capables de cela, alors que faisons-nous encore à parler d’africanité, de panafricanisme, ou même de développement endogène ?
Ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit : il ne s’agit pas de rejeter le français ou l’anglais à coups de machette grammaticale. Il s’agit simplement de reconnaître qu’une langue n’est pas neutre. Elle porte un imaginaire. Une mémoire. Une manière de voir le monde. Et que lorsqu’on pense le monde dans la langue de l’autre, on finit, bien souvent, par le voir avec ses yeux.
Nos langues maternelles ne sont pas des reliques de musée. Ce sont des racines vivantes. Des matrices de sens. Des musiques de l’âme. Vouloir les faire revivre, ce n’est pas être nostalgique. C’est être lucide.
Non, nous ne sommes pas obligés de choisir une seule langue maternelle comme langue nationale. Mais nous sommes obligés de ne pas laisser mourir les langues de nos ancêtres. C’est une question de survie culturelle. Une urgence silencieuse. Un héritage qui ne se négocie pas dans les salons climatisés de la République.
Parce qu’au final, une langue, c’est la première racine d’une culture. Et un peuple sans racine… c’est une marionnette.


























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