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Modernes, oui. Amnésiques, non: sauvons nos langues


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Il y a dans chaque peuple un souffle, une musique, un rythme. Le Cameroun, lui, en possède plus de deux-cent, et pourtant, ironie du siècle, nous avons réussi à faire de cette richesse une parenthèse culturelle. Presque un caprice folklorique qu’on brandit uniquement lors des cérémonies officielles, juste après l’hymne national. Je me demande souvent comment nous, peuple si fier de nos origines, avons pu passer autant de temps à enseigner le français, l’allemand et l’espagnol, tout en nous excusant presque d’enseigner nos propres langues. Comme si l’identité devait passer par une assimilation linguistique.

Nos langues: pas un patrimoine, une fondation

Certes, la modernité a ses exigences mais ce que nous oublions trop souvent, avec une élégance qui frôle le comique, c’est qu’une langue, ce n’est pas un accessoire de tradition. C’est un système de pensée, une manière de structurer la réalité. Une langue maternelle, ce n’est pas seulement un son, c’est une posture intérieure. C’est ce qui te dit comment tu te tiens face au monde. Alors oui, je le dis calmement, un Cameroun qui oublie ses langues, c’est un Cameroun qui oublie sa capacité à se penser lui-même.

Un enseignement à repenser profondément

Dans mon ouvrage Rebâtir le Cameroun par nos racines, je propose une réforme profonde:

1. Remplacer l’allemand et l’espagnol

Non pas parce que ces langues ne sont pas intéressantes, mais parce que la priorité nationale devrait être justement nationale. Pourquoi apprendre Goethe avant de découvrir la poésie Bassa ? Pourquoi réciter Cervantes avant de connaître la sagesse Bamoun ? Il ne s’agit pas d’interdire, il s’agit simplement de replacer les priorités au centre.

2. Introduire les langues nationales dès la maternelle

Parce que c’est à trois ans qu’on absorbe le mieux les langues. Ce que l’enfant apprend dans sa langue maternelle, il le retient avec son cœur avant sa tête.

3. Un apprentissage croisé entre régions

Un élève de l’Ouest peut apprendre le Duala, un élève du Centre peut apprendre le Fufuldé, un élève du Littoral peut découvrir l’Ewondo. La diversité n’est pas un risque, c’est un vaccin contre l’ignorance.

4. Créer un baccalauréat avec options linguistiques camerounaises.

Que nos langues deviennent non seulement enseignées, mais examinées, valorisées, certifiées.

Que parler sa langue ne soit plus une marque d’arrière-village, mais une compétence reconnue, une fierté assumée.

Ce que nous gagnerons en retrouvant nos mots

Nous ne sauverons pas seulement nos langues. Nous sauverons:

notre mémoire, notre manière de penser, notre manière d’aimer, notre manière de rêver, notre capacité à créer un imaginaire collectif parce que la langue n’est pas un outil culturel. C’est une boussole civilisationnelle. Et entre nous, comment veux-tu construire un pays en empruntant les mots des autres pour nommer tes propres douleurs ? Restons honnêtes. Nous avons longtemps pensé que parler français ou anglais "élevait" socialement. Aujourd’hui encore, certains parents pensent que parler sa langue à la maison "retarde l’enfant". Si ce n’était pas triste, ce serait presque drôle. Car les peuples les plus développés sont précisément ceux qui n’ont jamais cessé d’enseigner leur langue, leurs contes, leurs codes.

Nous, nous avons mis nos langues au grenier, et nous nous étonnons que nos enfants ne sachent plus d’où ils viennent.

L’avenir ne nous demande pas de choisir entre modernité et identité. Il nous demande d’être assez intelligents pour marier les deux. Nous pouvons être un Cameroun moderne, ouvert, connecté, tout en parlant nos langues avec fierté. Ce n’est pas un retour en arrière, c’est un retour aux fondations pour mieux avancer. Le vrai danger, ce n’est pas d’oublier le français. Le vrai danger, c’est d’oublier qui nous sommes. Si ce pays veut vraiment renaître, il devra commencer par se réapprendre lui-même, mot après mot, langue après langue, peuple après peuple parce qu’un Cameroun qui se parle enfin dans ses propres mots sera un Cameroun qui se comprend, qui s’assume, et qui se relève.

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