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Une maman, un parapluie, et le goudron brûlant ...


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Ce jour-là, Douala, midi passé. La chaleur faisait trembler le goudron comme dans un mauvais rêve, les klaxons résonnaient comme s’ils portaient plainte, et la ville, comme d’habitude, avançait à toute allure dans son propre chaos organisé.


C’est en ralentissant devant un hôpital public, dont je tairai volontairement le nom, que je l’ai vue. Une femme. Assise devant ce grand portail, sur un petit plastique froissé, son dos collé au mur comme pour mendier un peu d’ombre. Elle tenait un parapluie troué, malmené par le vent, au-dessus de la tête d’un petit garçon endormi sur ses genoux. Il transpirait à grosses gouttes, fiévreux. Elle, stoïque, regardait droit devant elle. Le regard vide, mais digne.


Autour d’elle, rien. Ni banc, ni soutien, ni personnel hospitalier attentif. Seulement du goudron brûlant et du bruit. Beaucoup de bruit.


J’ai ralenti, observé, et j’ai eu cette pensée gênante : et si elle attendait depuis ce matin ? Depuis la veille ? Et si l’enfant n’était pas encore passé en consultation ? Puis j’ai pensé à cette expression qu’on aime bien sortir quand on ne sait pas quoi dire : "C’est ça l’Afrique…". Non ! Non, ce n’est pas "ça l’Afrique". Ce n’est pas une fatalité. C’est une négligence institutionnalisée.


Comment avons-nous normalisé ça ? Comment avons-nous, collectivement, accepté que des femmes accouchent par terre, que des enfants meurent sur des bancs en bois, que la santé des pauvres soit une question de patience… ou de chance ?

Pendant ce temps, ailleurs, dans les bureaux climatisés, on signe des protocoles d’accord, on lance des plans triennaux, on construit de nouveaux hôpitaux aux noms ronflants. Mais sur le terrain, on meurt encore de chaleur, de silence et de lenteur.


Ce parapluie, ce jour-là, m’a paru symbolique. Un petit acte de résistance. Une tentative dérisoire de protéger son enfant contre un monde qui l’a déjà oublié. Elle était là, comme des milliers d’autres femmes dans ce pays, qui tiennent leurs enfants à bout de bras, en attendant que l’État se souvienne qu’elles existent.


Ce n’est pas seulement une affaire de santé publique. C’est une affaire de dignité parce qu’aucune femme ne devrait poser son enfant fiévreux sur du béton pour espérer une consultation, parce qu’aucun citoyen ne devrait être traité selon son carnet, ou son apparence, ou sa capacité à "glisser quelque chose".


La pauvreté n’est pas un crime. Mais chez nous, elle semble encore être une faute morale.

Alors oui, je me pose cette question : combien de parapluies faudra-t-il encore pour couvrir le vide de notre conscience collective ?

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